Eau et changement climatique, quelle gouvernance sur le territoire du Grand Est ?
Si l’adaptation au changement climatique occupe une place croissante dans les processus de négociation internationaux et politiques publiques nationales[1], elle fait également l’objet d’une gouvernance plus locale et territorialisée, notamment à l’échelle régionale. En effet, chaque région est touchée de façon différenciée par les effets du changement climatique, le Grand Est ayant ses particularités et spécificités. La région, particulièrement marquée par les aléas climatiques extrêmes que sont les sécheresses et les inondations, est d’autant plus vulnérable aux risques liés à la ressource en eau. Alors qui sont les acteurs de l’adaptation au changement climatique, en lien avec l’eau, dans le Grand Est ?
Les Agences de l’eau
Dans la législation française, le bassin versant représente le périmètre privilégié de la mise en œuvre d’une gestion durable de l’eau[2]. Chaque Agence de l’eau est donc responsable de la mise en place d’un plan de gestion dédié à chaque bassin hydrographique afin d’identifier les objectifs et les priorités d’action à mettre en œuvre : il s’agit du schéma directeur d’aménagement des eaux (SDAGE). Le Grand Est fait l’objet, selon les territoires, de trois SDAGE dans la mesure où la région regroupe trois grands bassins hydrographiques français : Rhône-Méditerranée-Corse, Rhin-Meuse (principal bassin de la région) et Seine-Normandie. Les SDAGE de la période 2016-2021 touchant à leur fin, ceux de la période 2022-2027 sont en cours d’élaboration.
Il faut noter que les enjeux locaux dans la politique de l’eau permettent la création, selon les besoins, d’une commission locale de l’eau (CLE). Celle-ci est responsable de l’élaboration d’un plan de gestion, à l’image du SDAGE mais à plus petite échelle : le schéma d’aménagement et de gestion des eaux (SAGE)[3]. La Région Grand Est comptabilise ainsi 15 SAGE sur son territoire, permettant à de nombreux acteurs de s’emparer de la question climatique à l’échelle d’un territoire[4].
En ce qui concerne plus particulièrement l’adaptation au changement climatique, l’Agence de l’eau Rhône-Méditerranée-Corse est la première à adopter un plan d’adaptation, en 2014 ; elle est suivie en 2016 par l’Agence de l’eau Seine-Normandie, puis en 2018 par l’Agence de l’eau Rhin-Meuse[5]. Quelles sont les mesures phares de ces trois plans d’adaptation au changement climatique ?
- L’Agence de l’eau Rhône-Méditerranée-Corse, prévoyant 48 mesures et 29 actions phares, se concentre sur cinq enjeux : la disponibilité en eau, le bilan hydrique des sols, la biodiversité, le niveau trophique des eaux, et l’enneigement.
- L’Agence de l’eau Seine-Normandie prévoit quant à elle une liste de « réponses stratégiques », qui consistent à : favoriser l’infiltration à la source et végétaliser la ville ; restaurer la connectivité et la morphologie des cours d’eau et des milieux littoraux ; coproduire des savoirs climatiques locaux ; réduire les pollutions à la source ; faire baisser les consommations d’eau et optimiser les prélèvements ; sécuriser l’approvisionnement en eau potable ; adapter la gestion de la navigation ; renforcer la gestion et la gouvernance autour de la ressource ; développer la connaissance et le suivi.
- L’Agence de l’eau Rhin-Meuse construit son plan d’adaptation sur huit axes : préserver les écosystèmes et reconnaître les services rendus ; poursuivre l’amélioration de la qualité des ressources en eau ; construire une société plus sobre en eau ; réduire la vulnérabilité du territoire aux risques d’inondation et de coulées d’eaux boueuses ; engager une politique de l’eau qui contribue à l’atténuation ; engager une politique énergétique compatible avec une préservation des ressources en eau ; favoriser des sols vivants, réserves d’eau et de carbone ; connaître et faire connaître.
Par ailleurs, la directive européenne relative à l’évaluation et à la gestion des risques inondations de 2007 prévoit l’élaboration de plans de gestions du risque inondation (PGRI), également à l’échelle des bassins versants. La politique d’adaptation au changement climatique mise en œuvre par les comités de bassin est donc véritablement transversale dans leur activité.
La Région Grand Est
La Région Grand Est est une des 4 régions françaises à avoir sollicité et obtenu la compétence animation et concertation dans le domaine de l’eau. Elle a dans ce cadre adopté en juillet 2020 une stratégie faîtière : L’eau une valeur commune à toutes les politiques régionales. En ce qui concerne l’eau et l’adaptation au changement climatique, cela s’est notamment traduit par :
- une partie entièrement consacrée au changement climatique dans le diagnostic « eau » du SRADDET [9] (Schéma Régional d’Aménagement, de Développement Durable et d’Egalité des Territoires) et des objectifs ambitieux en faveur de la désimperméabilisation et de la réduction de la consommation en eau.
- une étude régionale sur le bilan actuel et futur (2030-2050) de la ressource en eau dans le Grand Est [10].
- un appel à projets « eau et adaptation au changement climatique » en 2021.
Les services déconcentrés de l’Etat
Participant également à l’élaboration des SDAGE, il faut souligner la présence des services déconcentrés de l’Etat en région Grand Est. En particulier, la direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement (DREAL) du Grand Est, qui compte huit unités départementales, intervient aux niveaux régional et départemental afin de décliner localement les politiques publiques, notamment concernant la ressource en eau et l’adaptation au changement climatique. Doivent également être mentionnées les dix Directions départementales du territoire (DDT), structures interministérielles qui assurent un rôle de “police de l’eau”.
De plus, l’Etat s’appuie sur plusieurs établissements publics spécialisés, ayant des délégations régionales[6] : peut notamment être cité l’Office français de la biodiversité (OFB), par exemple chargé de faire respecter les prescriptions réglementaires localement. L’Etat s’appuie en outre sur des organismes de recherche disposant également de bureaux locaux, tels que le BRGM (Bureau de recherches géologiques et minières) ou l’INRAE (Institut national de la recherche agronomique).
Les initiatives transfrontalières
La position de la Région à l’amont de grands bassins versants internationaux (Rhin, Moselle, Meuse, etc.) et au-dessus d’importants aquifères (nappe phréatique rhénane, nappe de la craie, Grès du Trias Vosgien, bassins miniers lorrains, etc.) a amené la gestion de l’eau, notamment face au changement climatique, à être menée de façon transfrontalière. Ainsi, une coopération forte existe entre la France, l’Allemagne, le Luxembourg, les Pays-Bas et la Suisse.
Cette coopération se traduit par la présence française dans la Commission internationale pour la protection du Rhin (CIPR), la Commission internationale pour la protection de la Moselle et de la Sarre (CIPMS) et la Commission internationale de la Meuse (CIM)[7]. Ces Commissions visent à favoriser l’étroite coopération des Etats qui en sont membres afin de concilier leurs intérêts, notamment en termes d’usage, et de protéger le bassin.
Doivent également être cités les programmes Interreg Grande Région et Rhin Supérieur, qui réunissent de nombreux acteurs publics et privés au niveau transfrontalier et permettent l’émergence de nombreux projets visant une adaptation accrue au changement climatique. A l’image du projet Clim’Ability Design, ces initiatives permettent de travailler à l’échelle régionale sur la problématique du changement climatique, tout en abaissant la barrière que peuvent représenter les frontières nationales.
Les collectivités locales
Dans le Grand Est, la gestion de l’eau face au changement climatique doit également se déployer au niveau local. Elle dépend tout d’abord très fortement des politiques mises en place à l’échelle de la collectivité, la loi sur l’eau et les milieux aquatiques (LEMA) de 2006 ayant renforcé le rôle des collectivités dans la gestion des services publics de l’eau et de l’assainissement. Il est par exemple intéressant de citer la végétalisation croissante des infrastructures en ville (à l’image du projet Strasbourg, ça pousse mis en œuvre dans la ville de Strasbourg), en vue d’une prévention des îlots de chaleur.
De plus, les collectivités peuvent se rassembler sous forme d’intercommunalités afin de prévoir un plan de gestion de l’eau à une échelle la plus pertinente possible, notamment sous la forme de syndicat d’eau ou de syndicat de bassin – par exemple à l’image du syndicat des eaux vives des 3 Nied (entre Metz et Sarrebruck). Les intercommunalités sont responsables, depuis les lois MAPTAM et NOTRe, de la compétence GEMAPI (Gestion des Milieux Aquatiques et Protection contre les Inondations), soit de la gestion du grand cycle de l’eau. Il faut enfin noter le transfert en cours de la compétence “eau et assainissement”, via la loi NOTRe, aux communautés d’agglomération dès 2020 et aux communautés de communes dès 2026.
Toujours à l’échelle des intercommunalités, il faut souligner le fait que les Plans Climat Air Energie Territoriaux (PCAET), dont l’objet est la lutte contre le changement climatique et recherchant donc la préservation de la ressource en eau, relèvent des collectivités territoriales (ils sont obligatoires pour les collectivités de plus de 20 000 habitants)[8]. Par exemple, un des enjeux soulevés par le PCAET de la ville de Strasbourg tient dans la « solidarité concernant le changement climatique et les inondations », tandis que le PCAET de la ville de Nancy prévoit le « renforcement de la capacité du territoire à résister aux épisodes de fortes précipitations ou à de fortes chaleurs » : autant d’enjeux d’adaptation majeurs pour la ville durable de demain.
Les acteurs privés
Enfin, la gouvernance de l’eau face au changement climatique sur le territoire du Grand Est inclut la responsabilité et l’implication des acteurs privés (entre autres via la délégation de service public), entreprises, associations ou usagers. Par le biais de leurs représentants au sein des comités, que ce soit à l’échelle d’un bassin ou au niveau local, ils contribuent à la planification de la gestion de l’eau sur le territoire. Acteurs privés, vous avez donc également un rôle à jour dans la gouvernance de l’eau face au changement climatique sur notre territoire !
Ainsi, le lien entre eau et changement climatique fait l’objet d’une échelle d’action véritablement plurielle, y compris à l’échelle de la gouvernance du territoire du Grand Est. Celle-ci a vocation à accompagner ses entreprises, ses collectivités et ses habitants à s’adapter de façon croissante au changement climatique, afin d’accroître notre résilience et de pérenniser nos activités.
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[1;7;8] Région Grand Est, Schéma régional d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires. Diagnostic thématique « Eau »
[2] eaufrance.fr « Vers le bon état des milieux aquatiques »
[3] eau-rhin-meuse.fr « Les schémas d’aménagement et de gestion des eaux »
[4] gesteau.fr « Dans le Grand Est, 15 SAGE au service des territoires »
[5] cerdd.org « Les agences de l’eau investissent pour l’adaptation au changement climatique en région »
[6] eaufrance.fr « Vers le bon état des milieux aquatiques »
[9] grandest.fr « Schéma régional d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires »
[10] grandest.fr « Etat quantitatif des ressources en eau du Grand Est - Evaluation prospective 2030-2050 et proposition d’actions » + annexes